Crypto-actifs en France : Des réponses réglementaires face aux risques 

À l’échelle internationale, les crypto-actifs connaissent des fluctuations marquées par des événements politiques et économiques majeurs. Leur popularité a par ailleurs connu un regain d’intérêt avec l’élection de Donald Trump, qui a contribué à propulser leur valeur à des sommets inédits. Depuis son élection, différentes mesures ont déjà été annoncées, notamment un décret émis par le nouveau président favorisant les crypto-actifs ainsi qu’une proposition de loi nommée le Boosting Innovation, Technology and Competitiveness through Optimized Investment Nationwide (BITCOIN) Act, introduite par la sénatrice Cynthia Lummis du Parti républicain du Wyoming. Le BITCOIN Act établit une réserve stratégique de bitcoins qui servira de réserve de valeur supplémentaire pour renforcer le bilan de l’Amérique et assurer la gestion transparente des avoirs en bitcoins du gouvernement fédéral. Mais tandis que les Etats-Unis mettent en place des mesures privilégiant les crypto-actifs, en France et au sein de l’Union européenne (UE), la priorité reste la mise en place d’une régulation renforcée pour garantir un usage sécurisé et éthique des crypto-actifs.

La France prône la prudence face aux dangers des crypto-actifs, particulièrement leur implication dans le blanchiment d’argent et les cyberattaques. L’opacité de certains opérateurs financiers permet en effet de convertir des fonds illicites en crypto-actifs, puis de les réintégrer dans le circuit financier légal, une technique efficace pour dissimuler l’origine des fonds. Pour contrer ces pratiques, l’agence Tracfin joue un rôle crucial. Placée sous l’autorité des ministères économiques et financiers, elle lutte activement contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. En France, la régulation des crypto-actifs s’aligne sur les règlementations européennes et notamment le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets). Adopté en 2023, celui-ci établit un cadre réglementaire unifié pour les crypto-actifs, encadre les acteurs clés du secteur et introduit des mesures pour prévenir les abus de marché.

Récemment, plusieurs projets et propositions de loi ont été discutés en France afin de renforcer ce cadre juridique des crypto-actifs. Parmi eux, un projet de loi ratifiant deux ordonnances clés a été déposé au Sénat le 8 janvier 2025 par le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Éric Lombard. La première ordonnance, relative aux marchés de crypto-actifs, vise à aligner le droit français sur le règlement européen MiCA. Elle prévoit notamment la disparition progressive des régimes nationaux, tels que celui des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), qui seront remplacés par le nouveau régime mis en place par le règlement MiCA d’ici 2026. Le texte clarifie également le régime juridique des actifs numériques et leurs modalités de transfert de propriété. La supervision des acteurs du marché sera partagée entre l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui se verront attribuer des compétences distinctes.

Un cas spécifique concerne la Caisse des dépôts et consignations : bien qu’exclue du champ du règlement MiCA en raison de son statut d’autorité publique, elle sera soumise à un régime spécifique sous la supervision de l’ACPR. En parallèle, la seconde ordonnance adapte les règles de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) aux exigences du règlement européen « TFR » (Transfer of Funds Regulation). Parmi les principales évolutions, on note l’introduction de mesures spécifiques pour les portefeuilles auto-hébergés ainsi que le renforcement des obligations des prestataires, entrées en vigueur dès le 30 décembre 2024.

Ces mesures ont pu être mises en application grâce à l’article d’une loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et d’agriculture. Cette loi autorise le gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance et dans un délai de six mois, toute mesure législative nécessaire pour adapter le Code monétaire et financier – ainsi que d’autres codes ou lois si nécessaire – afin d’assurer la cohérence et la conformité du droit français avec le règlement (UE) sur les marchés de crypto-actifs.

Au-delà du renforcement nécessaire du cadre juridique encadrant les crypto-actifs, la priorité est d’intensifier leur régulation pour prévenir leurs usages détournés. C’est à cet effet que récemment, le rôle des crypto-actifs dans le blanchiment d’argent et le narcotrafic a fait l’objet d’une proposition de loi visant à combattre le narcotrafic, portée par Etienne Blanc, sénateur les Républicains (LR) du du Rhône, et Jérôme Durain, sénateur Groupe socialiste, écologiste et républicain (SER) de la Saône-et-Loire. Ce texte met l’accent sur le ciblage financier des narcotrafiquants et prévoit entre autres l’interdiction des « mixeurs » de crypto-actifs souvent utilisés pour dissimuler les flux financiers illicites.

Des amendements ont été adoptés suite aux discussions en commission des lois et prévoient également le renforcement des règles de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) ainsi que l’application de la présomption de blanchiment. Après avoir été discutée en séance publique les 28, 29 janvier et 4 février 2025, la proposition de loi a été largement adoptée avec 338 voix pour sur 339 votants. La seule sénatrice ayant voté contre, Brigitte Devésa (Groupe Union centriste, Bouches-du-Rhône), a fait savoir qu’elle aurait souhaité voter pour. Le succès de la coopération des deux sénateurs à l’origine de ce texte unanimement adopté leur a de plus permis de recevoir le prix de sénateurs de l’année à la cérémonie du Trombinoscope 2025.

Malgré ces développements, l’intérêt des parlementaires pour les crypto-actifs reste limité. Selon les données des questions écrites au Sénat et à l’Assemblée nationale, seules quelques initiatives ont émergé. À l’Assemblée nationale, aucune question n’a été soulevée lors de la 17e législature, et seulement cinq questions ont été posées lors de la 16e législature. En 2024, Hervé Maurey a été le seul sénateur à poser des questions sur ce sujet. Parmi les questions posées par ce sénateur, celui-ci a interrogé le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur le risque de blanchiment d’argent et d’escroqueries financières associé aux jetons non-fongibles (NFT) ainsi que sur l’encadrement des crypto-actifs.

Le gouvernement avait répondu à cette dernière question le 5 décembre 2024 et annoncé la transposition d’une directive européenne dans le projet de loi de finances pour 2025 (PLF). Cette directive vise à imposer aux plateformes crypto de déclarer annuellement les transactions et d’échanger ces informations entre États membres. Un registre européen des opérateurs de crypto-actifs doit aussi être mis en place avec pour objectif d’exploiter ces nouvelles données pour renforcer le contrôle fiscal et lutter contre la fraude. Depuis, la loi de Finance pour 2025, promulguée le vendredi 14 février 2025, intègre cette disposition au sein de son article 54, concrétisant ainsi l’engagement du gouvernement en faveur d’un encadrement renforcé des crypto-actifs.

Pourtant, selon Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France, les crypto-actifs pourraient jouer un rôle significatif dans le système financier futur, sous réserve de réunir les conditions nécessaires, notamment la confiance des parties prenantes. La Banque de France travaille dans cette direction, en participant à l’élaboration d’un cadre réglementaire adapté, en modernisant son offre de services de paiement et en explorant le développement d’infrastructures compatibles avec la finance traditionnelle. Ces efforts visent à assurer la stabilité et la sécurité des marchés tout en préparant l’avenir des crypto-actifs dans le paysage financier.

En somme, si la France et l’Europe avancent dans la régulation des crypto-actifs, de nombreux défis restent à relever. La capacité à anticiper les évolutions technologiques et à équilibrer innovation et sécurité sera déterminante pour intégrer pleinement les crypto-actifs dans une finance durable et responsable. Il convient de rappeler que les cryptos-actifs, par ailleurs utilisés en tant que placements financiers, sont assujettis à une volatilité extrêmement forte et nécessitent d’être exercés par des opérateurs reconnus par les instances financières. La régulation doit être importante pour répondre non seulement à une nécessité de lutte contre le blanchiment, mais aussi pour la protection des consommateurs. Denis Beau a souligné récemment, que « sur les crypto-actifs, ne pas réguler aujourd’hui, ce serait semer les germes de la crise financière de demain. »

En somme, si la France et l’Europe progressent dans la régulation des crypto-actifs, des défis subsistent. L’anticipation des évolutions technologiques et l’équilibre entre innovation et sécurité seront déterminants pour une intégration durable des crypto-actifs dans la finance mondiale. L’intérêt croissant des réseaux criminels pour les crypto-actifs a également été mis en lumière par des événements récents, comme l’enlèvement de David Balland, cofondateur de la start-up française Ledger spécialisée dans les crypto-actifs. Cet évènement a d’autant plus illustré la nécessité de renforcer les cadres législatifs pour contrer l’utilisation illicite des crypto-actifs, en particulier dans des secteurs comme le narcotrafic en France.