Elections législatives : le pari perdant d’Emmanuel Macron

« Ce qui alimente la colère ou le rejet de nos concitoyens, c’est la certitude que le pouvoir est aux mains de dirigeants qui ne leur ressemblent plus, ne les comprennent plus » « Si nous ne nous ressaisissons pas, dès le mois de mai prochain, ou dans 5 ans, ou dans 10 ans, le Front national sera au pouvoir ». Emmanuel Macron, Révolution, novembre 2016.

Ce constat que posait Emmanuel Macron sur la situation politique du pays peu avant son élection à la tête de l’Etat en 2017 résonne aujourd’hui curieusement, après l’ouverture d’une séquence politique qu’il a lui-même décidé et qui mènera probablement à la fin de l’application de la ligne politique du Président telle qu’elle a été mise en œuvre depuis 7 ans.

Depuis le 9 juin et les résultats des élections européennes, une nouvelle séquence politique s’est ouverte, caractérisée par une percée inédite du Rassemblement national. Pour rappel, la liste RN portée par Jordan Bardella a fait aux européennes plus du double du score de la liste de Valérie Hayer (31,4% contre 14,6%). En réaction immédiate, Emmanuel Macron a pris la décision de dissoudre l’Assemblée nationale et d’organiser des élections législatives dans le délai le plus court possible.  

L’alliance du Rassemblement national – Les Républicains (RN-LR) a donc été placée ce dimanche 30 juin en tête du premier tour des élections législatives au niveau national (33,4%) devant le Nouveau Front Populaire (NFP) qui réalise 28,3% des suffrages, et Ensemble pour la République (21%) qui représente le camp présidentiel. Avec une participation très élevée (66,7%), le RN réalise des scores historiques partout en France, avec l’élection de 39 députés au premier tour. Le parti de Marine le Pen est proche de la majorité absolue et d’installer Jordan Bardella à Matignon.

Ce « retour aux urnes » est un choc politique. La dissolution est un mécanisme qui n’avait été utilisé que cinq fois sous le Vème République, avant tout pour tenter de conforter la majorité parlementaire du Président en place. Or, cette décision d’Emmanuel Macron intervient au moment où le RN n’a jamais été porté aussi haut dans les urnes en comparaison avec le camp présidentiel. Cela s’est confirmé dimanche 30 juin avec une différence de 13 points en faveur du RN. De l’autre côté du spectre politique, les partis de gauche, réorganisés en un temps record sous la bannière du NFP, ont près de sept points d’avance sur le camp présidentiel (score de 28%), mais ne peuvent prétendre à une majorité absolue dans quasiment aucun scénario.

Emmanuel Macron pris dans le piège de la dissolution

Incarner le rempart face au Rassemblement national à nouveau

Je défends l’idée qu’Emmanuel Macron a cherché à réaliser un coup politique en réorganisant l’Assemblée d’une manière à incarner une nouvelle fois le meilleur rempart possible face au RN.  

Dans un contexte où le parti de Marine le Pen représente environ un tiers de l’électorat, le reste des électeurs fracturés devait alors suivre Emmanuel Macron dans un énième scénario : « moi ou le RN au pouvoir ». Ce calcul politique s’est cependant heurté à deux éléments, le premier conjoncturel, l’autre structurel :

  • L’élément conjoncturel, c’est la nouvelle union de la gauche, qui a progressé de deux points au premier tour dans le format NFP comparé à la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES) en 2022. Après des mois de campagnes des européennes fratricides, il y avait fort à parier que la gauche échouerait à s’allier, ce qui aurait conduit à son effacement à l’Assemblée nationale en raison du caractère majoritaire du scrutin. Les responsables politiques de gauche, y compris des sociaux-démocrates comme François Hollande, ont cependant réussi à présenter un programme commun, quitte à reléguer à l’après la question du choix du premier ministre.
  • L’élément structurel réside dans la gestion du pouvoir d’Emmanuel Macron depuis sa réélection en 2022. En effet, le Président a été réélu notamment grâce aux voix des électeurs de gauche. En ignorant cette donnée qu’il avait pourtant reconnu lors de sa réélection, la ligne politique défendue par le camp présidentiel est devenue intenable, en plus de l’usure d’une majorité de citoyens insatisfaits du pouvoir en place depuis 2017. L’inertie du camp présidentiel face à cette usure s’est mesurée pendant la campagne des élections européennes durant laquelle ses responsables n’ont cessé de relativiser la progression du RN et de la liste menée par Raphaël Glucksmann et de croire en une relance de leur liste dans les dernières semaines de campagne.

Un bloc central face à son avenir politique

La majorité (relative) présidentielle était déjà affaiblie par ces deux dernières années sous la menace permanente d’une motion de censure à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, le passage en force de la réforme des retraites, dont les enquêtes d’opinion montraient qu’elle était très impopulaire et rejetée, a eu de lourdes conséquences sur la perception du gouvernement par la population.  

Le « bloc central » est donc entré dans la campagne en sachant dans les jours qui ont suivi le 9 juin qu’ils auraient tout à perdre et rien à gagner. Tout à perdre car le camp présidentiel réalise aujourd’hui qu’il peut être celui qui ouvrira les voies du pouvoir au RN alors qu’il s’était justement engagé à lutter contre sa progression. Tout à perdre car la majorité relative dont disposait Emmanuel Macron pour appliquer son programme tant bien que mal n’existe plus. Rien à gagner car le leadership du RN sur la droite et la droite radicale ne s’est que renforcé depuis, et que les gauches, si divisées qu’elles soient, ont montré qu’elles étaient capables de s’unir pour faire front face à l’extrême droite. Les réserves de voie disponibles reposent donc quasiment uniquement sur les triangulaires dans lesquelles les candidats NFP sont arrivés troisièmes et se désisteront. Dans le meilleur des scénarios, une centaine de députés du camp présidentiel pourraient regagner leurs sièges à l’Assemblée nationale contre 250 auparavant !

En actant la dissolution de l’Assemblée nationale et en organisant les élections dans le délai le plus court possible, Emmanuel Macron a plongé la France dans une incertitude inédite. Ce n’est pas la première crise politique majeure que traverse la France, mais celle-ci a de particulier qu’elle est provoquée par le président de la République lui-même, qui a échoué à incarner le barrage républicain. En renvoyant constamment dos-à-dos les extrêmes, et en appliquant une politique ne tenant pas compte de la partie significative de son électorat qui l’a élu pour faire barrage à Marine le Pen, le Président est le premier responsable de la crise politique actuelle. Les désaccords publics vis-à-vis d’Emmanuel Macron exprimés par la Présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Privet ou de ces alliés historiques, Edouard Phillipe, François Bayrou, Bruno le Maire ou encore Clément Beaune le montrent.

Une progression du RN sur tout le territoire, une domination du NFP dans les grandes villes

Un des enseignements dans ce scrutin est le renforcement du RN, dans tous les territoires de France. Certes, il existe toujours une polarisation géographique forte. Les critères géographiques sont des variables importantes du vote en France et les espaces ruraux ont toujours eu une tendance plus conservatrice que les villes. Ce qui est frappant, c’est de voir à quel point cette donnée géographique s’incarne aujourd’hui d’abord dans le vote pour le RN, qui réalise des scores très importants dans la plupart des territoires ruraux de France y compris dans des espaces où, pour des raisons diverses, le vote RN peinait à s’implanter. Par exemple en Occitanie au premier tour en 2022, dans les cinq circonscriptions du Tarn et Tarn-et-Garonne le RN était devant dans une des circonscriptions contre quatre pour la NUPES. Au premier tour 2024, le RN a fini devant dans toutes ces circonscriptions.

On voit dans le même temps que le RN a réalisé également des scores impressionnants dans plusieurs villes moyennes de France, en particulier dans le sud-est : Perpignan, Carcassonne, Toulon ou encore Nice. Il parvient également à réaliser des progressions dans les grandes villes (en particulier dans l’agglomération marseillaise), encore timides certes, mais significatifs quand on considère que ces espaces étaient autrefois inaccessibles au RN.

A l’inverse, certains espaces urbains aux caractéristiques particulières comme le nord-est parisien, l’agglomération nantaise ou encore la métropole de Lyon réalisent des scores très élevés pour le NFP. Le nord et l’est parisien montrent à ce titre un plébiscite du NFP, illustré par l’élection au premier tour de députés comme Clémentine Autain, Éric Coquerel ou encore Sandrine Rousseau.

La nouvelle Assemblée qui se dessinera le 7 juillet risque donc de refléter une polarisation politique et géographique forte. Le risque est de renforcer des divisions toujours plus importantes entre des centres perçus comme bénéficiant des conséquences de la mondialisation et des espaces ruraux ou des villes moyennes dans lesquels la population est globalement insatisfaite des services publics et montre un rejet clair du gouvernement.

Quels scénarios possibles pour la prochaine Assemblée ?

La dissolution de l’Assemblée nationale a dissous par la même occasion la majorité présidentielle. L’incertitude est donc aujourd’hui totale, puisqu’il reviendra à Emmanuel Macron de nommer un premier ministre en tenant compte de l’effacement de sa majorité.

Une majorité absolue dominée par le Rassemblement national

Si le RN obtient une majorité absolue, soit 289 députés, ce qui apparait incertain au regard des désistements dans les triangulaires, il formera une cohabitation avec un Président hostile, des partenaires sociaux peu disposés à engager le dialogue avec lui, et une chambre haute dominée par des sénateurs de la ligne historique des LR. Par ailleurs, il est probable que le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel soient des obstacles importants à la mise en place des mesures qu’il défend. Il s’agit cependant du « bloc » qui a, à priori, le plus de chances numériquement de former un gouvernement. A noter que le RN pourrait aussi s’ouvrir les voies du pouvoir en attirant ce qu’il reste des Républicains et autres députés divers droite, notamment en proposant des postes à ces profils dans son potentiel gouvernement de coalition.

Une assemblée projet par projet entre le camp présidentiel, Les Républicains et la gauche « social-démocrate »

Le deuxième scénario peut-être plus probable laisse une majorité relative au RN et le laisse dans l’incapacité de gouverner. Ce scénario laisserait donc la possibilité pour le camp présidentiel de chercher à renouveler son approche politique et chercher à faire passer des textes projet par projet, en s’appuyant sur ses députés mais également sur les Ecologistes, le Parti socialiste les Communistes et le reste des Républicains non alliés au RN. Cela suppose que les députés Ensemble pour la République réalisent des scores favorables au second tour pour que Emmanuel Macron puisse s’appuyer sur cette base pour continuer à influencer l’agenda politique de l’Assemblée, en tenant compte de ses partenaires de circonstances à gauche. Cela pose néanmoins la question impossible de désigner un premier ministre suffisamment consensuel pour mener ces projets, dont le gouvernement ne fasse pas l’objet d’une motion de censure à la première occasion. Cela peut s’appuyer sur un gouvernement « technique », « provisoire », à l’image de la nomination de Mario Draghi comme Président du Conseil en Italie. La possibilité d’un type de gouvernement de ce type en France est néanmoins peu crédible.

Une assemblée ou le front républicain serait mené par la gauche

Une troisième hypothèse serait celle de résultats favorables pour le NFP au second tour, qui pousserait le Président de la République à placer le centre de gravité de la ligne politique à suivre plus à gauche. Dans ce contexte, cela supposerait de placer à la tête du gouvernement un profil orienté à gauche mais incarnant le dialogue avec les autres camps et la représentation de la société civile, à l’image d’un Laurent Berger premier ministre par exemple. La France insoumise ayant d’ores et déjà annoncé qu’elle ne gouvernerait « que pour appliquer son programme », cette hypothèse est très incertaine. On peut imaginer cependant que le reste des partis de gauche pourrait accepter ce compromis et tenter de former une alternative dans un gouvernement dominé par des personnalités issus de gauche, qui s’appuierait également sur les députés du bloc central pour voter ces textes. Là encore, ce gouvernement pourrait probablement facilement faire l’objet d’une motion de censure par le RN et la droite.  

Quoi qu’il arrive à l’issue du second tour ce dimanche 7 juillet, la recomposition politique de la France se poursuivra après 7 ans d’une usure profonde des citoyens vis-à-vis de leurs représentants. Reflet d’une société fracturée en trois grands « blocs politiques », gouverner la France dans une Assemblée divisée en trois s’avèrera éminemment complexe, même si un des camps parvient à atteindre une majorité absolue.

Blog par José Ernault

José Ernault est consultant pour le service français de Dods Political Intelligence vous propose son analyse de la situation. Diplômé de l’université de Lille en science politique, il a travaillé au service du recherche du Parlement européen au sein de l’unité d’analyse du Conseil européen. Chez Dods France depuis avril 2024, il appuie les consultants du service de veille politique et règlementaire et travaille sur les conséquences des différentes échéances électorales.

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